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Péripéties douanières



Personnages : Frosine / Douanier 1 / Douanier 2 / Contrebandier / Groupe des villageois


Frosine et le groupe des villageois sont en arrière-plan et discutent. De temps à autres, on perçoit des bribes de mots. Les deux douaniers s’avancent au premier plan…

Douanier 1 : Tiens donc ! Un attroupement ! Et la conversation à l’air animée. C’est exactement ce que j’espérais. (à son collègue) Approchons discrètement et écoutons. A mon avis, nous devrions cueillir quelques renseignements précieux.

Douanier 2 : Mais, chef, on va nous remarquer !

Douanier 1 : Bien sûr que non puisque nous sommes en civil. Ils penseront que nous sommes des paysans des environs. Allez, viens !

Douanier 2 : Oui, chef !

Douanier 1 : Ne dis pas chef, ahuri ! Tu veux nous faire repérer ?

Ils rejoignent les villageois. Arrivée du contrebandier qui porte un gros sac sur le dos.

Contrebandier : Zut, du monde ! D’ordinaire, à la tombée du jour, personne n’est dans les rues. Quelle tuile ! Et l’autre qu’est-ce qu’il fait ? C’était pourtant le lieu et l’heure convenue ! Raah ! Faites confiance à un bourguignon ! Bon, du sang froid. Si je tourne les talons, cela va paraître suspect. Je vais attendre et tâcher de passer inaperçu. Le mieux est encore de me mêler à la foule. Prenons l’air dégagé. (il rejoint le groupe en sifflotant)

Tout le groupe s’avance au premier plan, avec Frosine au milieu…


Frosine : (aux villageois) Comment ? Vous n’êtes pas au courant ? Je l’ai pourtant déjà dit à la moitié du village!

Villageois 1 : Oui, mais nous, nous étions aux champs !

Villageois 2 : Avec la récolte, il y a de l’ouvrage.

Villageois 3 : Et on rentre tard. Alors, comment veux-tu qu’on sache ce qu’il se passe ?

Villageois 4 : Allez, vas-y, raconte !

Frosine : Soit. Figurez-vous que cet après-midi, comme tous les vendredis, je ramenais du linge au château. Et la sœur de ma cousine qui est femme de chambre du châtelain, M. de Baignard, m’a dit que les nouveaux douaniers venaient d’arriver.

Villageois : Non ?

Frosine : Si. Ils sont en poste au village depuis ce matin.

Douanier 1 : (à part) Tiens, tiens ! On parle de nous. Voilà qui est intéressant. Tendons l’oreille.

Contrebandier : (à part) Qu’est-ce qu’elle raconte ? Des nouveaux gabelous ? Oh, que je n’aime pas ça !

Villageois 5 : Tu les as vus ?

Frosine : Moi, non. Mais il paraît qu’ils ont fait forte impression sur les gens du château.

Douanier 1 : (à part) Hé hé ! Tant mieux ! (à mi-voix à son collègue) Tu entends ?

Douanier 2 : (même jeu) Oui, chef ! Euh, pardon…Oui, brigadier !

Douanier 1 : (idem) Tu le fais exprès ? Pas de grade, ici, compris ? (à part) Mon Dieu que c’est pénible d’être secondé par un crétin !

Villageois 6 : Qu’est-ce qu’ils venaient faire au château ?

Frosine : Présenter leurs salutations au châtelain, comme il est d’usage. Et, d’après le régisseur du domaine qui est le parrain de ma nièce ; M. de Baignard, qui les a reçus fort courtoisement, a été lui-même impressionné.

Villageois 7 : Diantre ! Pourtant, il en faut à cet homme-là !

Frosine : Exactement. C’est dire s’ils sont d’une autre trempe que les douaniers précédents. Il paraît que leurs états de service sont formidables.

Douanier 1 : (à part) Hé hé hé ! C’est l’exacte vérité !

Contrebandier : (à part) Ouille ! Décidément, je n’aime pas cette histoire-là !

Frosine : Et le beau-frère de ma tante qui est le second valet de M. de Baignard a ajouté que leur réputation était terrible. Il m’a raconté qu’auparavant ils étaient en Savoie. Il semblerait que, là-bas, même les contrebandiers les plus féroces les craignaient.

Contrebandier : (à part) Misère ! Que je n’aime pas ça ! Que je n’aime pas ça !

Douanier 1 : (à part) Apparemment, ils sont très bavards, les employés du châtelain !

Frosine : La fille de ma voisine, qui est employée aux cuisines, m’a dit que celui qui commandait mesurait au moins deux mètres. Qu’il était fort comme un taureau et ques ses mains ressemblaient à des battoirs à linge. Il paraît qu’un jour, à lui seul, il a terrassé toute une bande de faux-sauniers !

Contrebandier : (à part) Ouh ! Je m’en vais filer vite fait d’ici, moi !

Douanier 2 : (à mi-voix à son collègue) Dites, elle parle de vous, là ?

Douanier 1 : (même jeu) Eh bien, oui, pourquoi ? De qui d’autre ?

Douanier 2 : (idem) Elle exagère un tantinet, vous ne trouvez pas ?

Douanier 1 : (idem) Pas tant que ça ! Pas tant que ça ! Et puis, tais-toi, tu m’énerves !

Frosine : Mais le plus impressionnant, c’est l’autre. Le deuxième. Il a terrifié la femme de mon tonton.Celle qui est gouvernante au château. D’après elle, on aurait dit un ours en cage. Avec une voix caverneuse et un regard effrayant. Et il s’est vanté, devant le châtelain, d’abattre les trafiquants sans sommation.

Contrebandier : (à part) Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu !

Douanier 1 : (à mi-voix) Ah non ! Là, elle pousse fort quand même !

Douanier 2 : (pareillement) Euh… Moi, je ne trouve pas.

Douanier 1 : (idem) Silence, imbécile !

Frosine : Je vous le dis, moi, ils n’ont peur de rien ! Avec eux, les fraudeurs et les malandrins de tous poils n’auront qu’à bien se tenir.

Douanier 1 : (applaudissant) Hé hé ! Parfait ! C’est tout ce que je voulais entendre ! Avec une telle renommée, nous sommes tranquilles. Ils ne seront pas nombreux à venir se frotter à nous.

Contrebandier : (à part) Un homme averti en vaut deux. Tant pis pour la marchandise. Je retourne à Gray.

Frosine : En tous cas, on saura vite ce qu’ils valent. Car, sous peu il y aura du grabuge.

Douanier 1 : (à part) Hein ?

Contrebandier : (à part) Quoi ?

Villageois : Du grabuge ? Ici ? A Champagne ?

Frosine : Parfaitement. Figurez-vous que le grand Mandrin, lui-même, serait dans les parages pour une affaire de sel.

Douanier 1 : (à part) Allons bon ! Voilà une nouvelle chanson que je n’apprécie guère !

Contrebandier : (à part) N’importe quoi ! Je ne suis pas Mandrin. Je suis son lieutenant.

Frosine : C’est le François qui m’en a parlé. Le mari de ma filleule qui est dans la maréchaussée. Et, croyez-moi, il est bien renseigné.

Contrebandier : (à part) Ah, les maudits gendarmes et leurs espions ! On ne peut plus faire un pas sans qu’ils soient au courant ! Allez donc faire honnêtement de la contrebande !

Villageois 1 : D’après la rumeur, il serait plutôt bon gars, ton Mandrin.

Villageois 2 : Oui. On dit qu’il prend aux riches pour donner aux pauvres.

Villageois 3 : Moi, je dis qu’un homme qui soutient les miséreux ne peut pas être un mauvais bougre.

Villageois : Ça, c’est vrai !

Contrebandier : (à part) Ah, les braves gens !

Douanier 1 : (à part) Quelle honte ! Faites donc régner l’ordre avec des mentalités pareilles !

Frosine : Je suis d’accord avec vous. Toujours est-il que le Mandrin, il vaut mieux ne pas s’y frotter. Quand il est traqué, il se transforme en bête féroce. L’escouade du François a tenté à maintes reprises de le capturer. A chaque fois, ils s’y sont cassés les reins !

Contrebandier : (à part) Hé hé hé ! Je suis bien placé pour le savoir. J’y étais !

Douanier 1 : (à part) Fichtre ! Je n’aimerais pas tomber sur ce gaillard !

Frosine : Et puis, on dira ce qu’on voudra, mais c’est quand même un criminel ! Le François dit l’avoir vu égorger six de ses collègues, en un tour de main.

Douanier 1 : (à part) Oh, que je n’aime pas ça ! Oh, que je n’aime pas ça !

Frosine : Et je l’entends encore me le décrire : Un prédateur. Un sauvage, à la corpulence inouïe.Avec un faciès de brute, des yeux cruels, un rictus affreux et, en plus, doué d’une force phénoménale.

Douanier 1 : (à part) Bon, ça va, on a compris ! Pfff…

Contrebandier : (à part, avec un grand sourire) C’est fou ! S’il ne s’agissait pas de Mandrin, je croirais entendre mon portrait !

Frosine : Enfin, voilà… Tout cela pour dire qu’il risque d’y avoir du vilain. Si gredin et douaniers tombent face à face, il y aura du sang. Dans un camp ou dans l’autre. A coup sûr !

Douanier 1 : (à part) Ooh ! Elle ne va pas se taire ! Quel oiseau de mauvais augure !

Contrebandier : (à part) Ooh ! Qu’elle la ferme ! Elle va finir par me flanquer la frousse !

Frosine : Bon. Maintenant que vous savez tout, moi, je m’en vais.

Contrebandier : (à part) C’est ça ! Bon vent !

Villageois 4 : Oui, rentrons. Demain, il faut se lever tôt.

Villageois : Au revoir !

Frosine et les villageois partent dans tous les sens. Le contrebandier et les deux douaniers font quelques pas et vont se placer à cour et à jardin. Des deux côtés, on ne s’est pas remarqué.

Contrebandier : (à part) Ouf ! J’ai bien cru qu’ils ne s’en iraient jamais ! (il s’éponge le front)

Douanier 1 : Eh bien ! Cette petite séance était fort instructive… (à son collègue) Tu vois ? Je te l’avais dit ! Quand on arrive en poste quelque part, c’est toujours bénéfique d’aller glaner, incognito, quelques bonnes informations.

Douanier 2 : Oui, chef ! Euh… Je peux vous appeler chef, à présent ?

Douanier 1 : Évidemment ! Tu as plutôt intérêt, même ! (à part) Seigneur ! Comment est-ce possible d’être aussi stupide ?

Douanier 2 : C’est tout de même inquiétant, cette histoire de Mandrin, vous ne trouvez pas ?

Douanier 1 : Le fait est que voilà un souci dont je me serais aisément passé. Et on a beau être brave, la description de l’individu donne à réfléchir. Il va falloir ouvrir l’œil et le bon.

Contrebandier : (à part) Allez, hop, filons ! La présence de ces douaniers me rend nerveux. Surtout s’ils sont aussi dangereux que la commère le disait. Je suis courageux, mais il y a des limites.

Le contrebandier tousse. Le chef des douaniers éternue.

Contrebandier : Qu’est-ce que c’est ? Il y a quelqu’un ?

Douanier 1 : Qui est-ce qui tousse ?

Un long temps. Puis, les têtes se tournent…

Contrebandier : Bon sang ! Le géant et l’ours ! Ils sont déjà là ! Je suis pris !

Douanier 2 : Regardez, chef ! Le faciès, les yeux cruels, le rictus ! C’est lui ! C’est son signalement !

Contrebandier : Les douaniers !!!

Douaniers : Mandrin !!!

Contrebandier : Ah non ! Ah non ! Pas Mandrin ! Son lieutenant !

Douanier 2 : Qu’est-ce qu’on fait, chef ?

Douanier 1 : Je ne sais pas ! Je ne m’y attendais pas si vite ! C’est trop tôt !

Contrebandier : Je ne peux plus fuir, c’est trop tard !

Douanier 1 : (à part) Il va résister, c’est certain ! Ouh ! Je le sens mal ! Je le sens mal !

Contrebandier : (à part) Ils vont me molester, c’est sûr ! Misère ! J’ai horreur de la brutalité ! Il faut gagner du temps!

Douanier 2 : Alors, chef ? Qu’est-ce qu’on fait ?

Douanier 1 : Ah, ne me bouscule pas, hein ! Sinon, je perds mes moyens ! Tiens, euh… Cerne-le !

Douanier 2 : Tout seul ? Certainement pas !

Contrebandier : Vous… vous ne faites pas peur ! Du tout, du tout, du tout. Je vous attends de pied ferme!

Douanier 1 : (à part) Je le savais ! Je le savais que ça finirait mal !

Douanier 2 : On… on attaque ?

Douanier 1 : A deux ? Ça ne va pas, non ? On… on tergiverse ! Voilà, ce qu’il faut faire ! Tergiverser !

Contrebandier : N’avancez pas ! Je vous préviens, je vais me défendre !

Douanier 2 : Euh… Nous aussi ! Alors, hein ! Faut pas la ramener !

Contrebandier : Attention ! Faites bien attention ! Il va vous arriver des bricoles !

Douanier 1 : Allons ! Soyez raisonnable ! Il faut vous soumettre !

Contrebandier : Encore un pas et je… je me fâche !

Douanier 1 : Si vous faites le fanfaron, ça va très mal se passer !

Contrebandier : Ne me poussez pas dans mes derniers retranchements !

Douanier 1 : Ne faites pas d’âneries que vous pourriez regretter !

Contrebandier : Je suis comme une bête traquée ! C’est très dangereux, les bêtes traquées ! Très, très, très!

Douanier 1 : Enfin, Monsieur, faites un effort ! Rendez-vous sagement, que diable ! Hein ?

Contrebandier : Faites gaffe ! Faites bien gaffe !

Douanier 1 : A votre place, je m’abstiendrais d’en découdre. Je dis ça dans votre intérêt.

Contrebandier : J’ai l’air calme, comme ça, mais quand j’explose ça fait mal !

Douanier 2 : Chef, il a a une bombe dans son sac !

Douanier 1 : Mais non, qu’est-ce que tu racontes ? Il bluffe.

Contrebandier : Dernier avertissement ! Je compte jusqu’à trois et après… après, ça va barder !

Douanier 2 : Tiens, qu’est-ce que je disais ? Il ne plaisante pas. Il en est aux sommations. Il va tous nous faire sauter!

Douanier 1 : Doucement ! Ne vous excitez pas ! On s’en va. Mais on reviendra ! Et avec du renfort !

Douanier 2 : Oui. Et là… là ça va… barder ! (ils se sauvent…) Chef ! Où va-t-on ?

Douanier 1 : Démissionner, imbécile !

Contrebandier : Ouf ! J’ai bien cru que j’allais y passer ! Ça me servira de leçon. A partir d’aujourd’hui, je change de métier… Allez, je me sauve ! (il part…)

FIN



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