Retour ou page suivante

Travail de forçat


Chers amis, à présent, nous allons nous intéresser à une travailleuse de l’ombre. Une de ces femmes admirables, dont on ne parle pas suffisamment.
Madame Barbottin est employée pour veiller à la propreté des sites que vous pouvez visiter. Pour Madame Barbottin, l’important est qu’après votre passage, les monuments restent dans l’état où vous les avez trouvés en entrant. Dur labeur. Plus précisément, Madame Barbottin est affectée à l’entretien de la Tour de Navarre. Quiconque connaît la Tour de Navarre, comprendra l’ampleur de la tâche. Chaque jour et par tous les temps, du matin au soir, Madame Barbottin passe derrière vous pour nettoyer les traces que vous avez laissées. Les tonnes de sable et de poussières, que vous soulevez en gravissant la rampe d’accès hélicoïdale, sont le cauchemar de Madame Barbottin. La courageuse femme lutte sans relâche contre une myriade de particules qui empoisonnent le lieu. La moquette, dans la salle supérieure, est également un souci constant pour Madame Barbottin. Garder la moquette immaculée, après le passage de centaines de chaussures en tous genres – mocassins, baskets, talons hauts, sandales, escarpins, santiags, bottines, espadrilles, rangers, etc. – relève de l’impossible. La semelle est l’ennemie de Madame Barbottin.
Madame Barbottin use sa santé, à lutter contre l’indicible. Madame Barbottin fait preuve d’un moral exceptionnel, pour résister au désir de tout envoyer balader. Et ne parlons pas des souillures laissées par des vandales inconscients. Ces gens-là, n’on aucun respect pour Madame Barbottin. Mégots de cigarettes, mouchoirs, canettes, débris divers, vomissures, sont le lot quotidien de la pauvre employée. Elle s’efforce, contre vents et marées, de faire régner l’hygiène au sein de la Tour de Navarre. Elle est formidable. Madame Barbottin est une sainte !…
Mais, même les saints ont des défaillances. Peu à peu, le moral de Madame Barbottin, s’effrite. Elle a l’impression de combattre des forces qui la dépassent. Des forces infernales. Tous les jours, elle constate que son labeur de la veille est réduit à néant. Il faut tout recommencer. C’est un cycle sans fin. Si au moins, on acceptait de lui payer un Aspiro-syphon 38 à manche téléscopique ! Sa tâche serait moins rude ! Et surtout, surtout, Madame Barbottin souffre d’un manque de reconnaissance. Nul ne prête attention à son travail. Pas un seul petit mot d’encouragement. Rien ! Son sacrifice passe inaperçu. Son ingrate besogne est traitée comme pipi de chat. Madame Barbottin se laisse aller. Elle entame une profonde déprime. Ne se sent plus à la hauteur. Elle devient de plus en plus négligeante. Passe des heures à contempler la moquette d’un air hébété, sombre dans l’alcoolisme, s’absente de plus en plus fréquemment. Madame Barbottin craque comme un navire abandonné. Madame Barbottin prend le large. Elle ne mettra plus les pieds à la Tour de Navarre. Plusieurs jours seront nécessaires pour s’aperçevoir de sa disparition. Une remplaçante est embauchée. Madame Bigue. Madame Bigue est employée pour veiller à la propreté des sites que vous pouvez visiter. Pour Madame Bigue, l’important est qu’après votre passage, les monuments restent dans l’état où vous les avez trouvés en entrant. Dur labeur. Aidez Madame Bigue à ne pas subir les mêmes tourments que Madame Barbottin. Comportez-vous en personnes civilisées, lors de vos visites. Et surtout, soyez aimables avec elle. Merci.


Retour ou page suivante