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Les costauds

Scène populaire dans une guinguette ou un café-concert :


ANSELME : – (entouré d’un auditoire admiratif) Moi, faut pas me casser les pieds. Quand on me cherche, on me trouve. Pas plus tard qu’hier, trois balèzes prétendaient m’en imposer. Je vous prie de croire que je les ai vite calmés. Ça n’a pas traîné. Pif, paf, pouf. Sonnés. Par terre, en un rien de temps. Ensuite, ils ont décampé. Moi, j’suis comme ça. Gentil, mais faut pas me chatouiller.

ADÈLE : – Ah là là ! Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! Voilà Anselme qui joue les fortiches !

ANSELME : – Je ne t’ai pas sonné, Adèle. Occupe-toi des clients, au lieu de bavasser. Non mais, quelle corniaude ! D’abord, qu’est-ce que t’y connais à la castagne ? (aux autres) L’écoutez pas, les gars. Ça c’est passé comme je dis. Mais ça, encore, ce n’est rien. L’autre jour, je suis tombé sur une bande de malfrats. J’étais cerné. Eh bien, je… (il écrase le pied d’un client)

HERCULE :Et alors ? Mon pied, c’est un paillasson ?

ANSELME : – Quoi ?

HERCULE : – Quoi, quoi ? On sirote tranquillement et on se fait piétiner. C’est un monde ! Ah, mais ça ne va pas se passer comme ça ! J’vais t’apprendre à faire attention !

ANSELME : – Hé là, hé là ! Doucement. Pas la peine de s’emporter. J’l’ai pas fait exprès.

HERCULE : – M’en fous ! J’suis en rogne. Quand j’suis en rogne, je cogne !

ANSELME : – Hé ho ! Du calme ! On ne va pas s’empoigner pour une broutille.

HERCULE : – Mon pied ? Une broutille ? Tu vas voir ! Tu vas la sentir passer la broutille !

ANSELME :(à part) Bon sang, il est enragé, ce zèbre ! (haut) Ecoute, pour la peine, je te paye un godet.

HERCULE :De quoi, de quoi ? On se tutoie ?

ANSELME : – Oui. Enfin, non. Euh… Si vous voulez, je peux vous offrir à boire ?

HERCULE : – Rien à faire. Des excuses. Avant que je sorte de mes gonds. Pour de bon.

ANSELME : – (à part) Sortir de ses gonds, sortir de ses gonds… En voilà, une tête de gond ! (haut) Soit. Je m’excuse. Vous êtes content ?

HERCULE :Mmmh… C’est bon. Maintenant, tu dégages ! Et vite.

ANSELME : – Tout de suite ? Je n’ai pas fini mon verre ?

HERCULE : – Pas le savoir ! File ! Compris ?

ANSELME : – Oui.

HERCULE :Oui, qui ?

ANSELME : – Euh… Oui, Monsieur !

HERCULE :Du vent !

ADÈLE : – Tu pars, Anselme ? Tu es bien pressé, d’un seul coup ?

ANSELME : – Oh, ça va ! Je ne suis pas prêt de remettre les pieds dans ton boui-boui. (il sort)

HERCULE :(à la contonnade) Z’avez vu ? Il a filé comme un pet sur une toile cirée. Je l’ai remis au pas. Nous autres, les équarisseurs, on sait se faire respecter. Ce n’est pas demain qu’on se laissera marcher sur les pieds. Sans blague !

LUCIENNE : – Ah, je t’y prends, espèce d’ivrogne !

HERCULE : – Lucienne ! T’es donc là ?

LUCIENNE : – Oui, et heureusement ! Pour t’empêcher d’écluser ton salaire. Tu n’as pas honte ?

HERCULE : – Mais, ma Poupinette…

LUCIENNE : – Tais-toi, vilain lascar ! Qui est-ce qui m’a fichu un gredin pareil ? Allez, à la maison ! Fissa!

HERCULE : – Enfin, mon ange…

LUCIENNE : – Ah, mais on ne réplique pas ! Bougre de saligaud, je vais te faire passer le goût du pain. Hors d’ici ! Marche devant, que je te voie ! Et gare à toi, si tu zigzague ! Compris ?

HERCULE : – Oui.

LUCIENNE : – Oui, qui ?

HERCULE : – Euh… Oui, Lucienne !

LUCIENNE : – Avance, graine de potence ! Plus vite. La vaisselle ne se fera pas toute seule.

HERCULE : – Oui, oui… On y va, on y va ! (ils sortent)

ADÈLE : Et voilà ! Ça finit toujours comme ça. Au bal des gros bras, on trouve toujours plus fort que soi pour faire la loi.



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